LE GRAND DÉPART DE NOTRE AMI MICHEL

    Il s’est embarqué sur l’une de ses jolies maquettes, un terre-neuvier ou  un trois-mâts barque, vers les brumes froides et les mers métalliques du grand banc ou du bonnet flamand.

    Michel était de ceux qui, façonnés par les épreuves, avait à cœur de donner à chacun un peu de joie, aux marins embarqués une fournée spéciale de croissants un dimanche en mer, aux amoureux de vieille marine la reproduction au millimètre de leur propre bateau (merci pour la belle Antoinette et la jolie Marie-Louise), du temps pour ses petits-enfants et tant d’amour pour Michèle et leurs filles.

   Qui pouvait imaginer qu’une carrure aussi formidable et des doigts aussi puissants arrivent à réaliser, avec des bouts de riens récupérés sur d’improbables restes, un casier à homards de la taille d’un dé sans qu’il y manque une anse, un transfilage dans des poulies faites entièrement au couteau et qu’il n’y manque pas une couille de chat ?

    Rencontré à une braderie au Minihic, il nous accompagnait depuis avec Michèle, son épouse, dans les manifestations de l’Association. Sa magnifique collection de maquettes comprenant tous les type de bateau de la Rance de la gabarre, la chippe, le doris, le canot de dix pieds mais aussi des bateaux portugais et espagnols qui tous avaient été construits après un très long et patient travail de recherche, passionnait les visiteurs autant que ses récits de mer. Cette exactitude, cette précision étaient à l’image de son exigence de son éthique personnelle : rien ne doit être entrepris si ce n’est parfaitement fait.          

    Combien de fois n’est-il revenu sur le sujet, un vieux canot pour vérifier un détail, reprendre un plan comme un charpentier de marine pour vérifier une courbe. D’ailleurs quand je lui ai demandé de faire des bateaux de bassin pour les petits enfants il n’a pas pu s’empêcher d’en faire des bijoux dignes des vitrines d’un musée vivant mais je sais qu’il les préférait sur l’eau à lutter comme lui malgré la dureté des éléments et des épreuves.

     Dieu et Michèle savent combien pourtant il a souffert toute sa vie des aventures de mer et des accidents de santé qui ne l’ont jamais quitté mais qui n’ont jamais entamé son enthousiasme et sa bonté.

    Il a quitté le bord après un dernier au revoir à ses filles et ses petits enfants en leur faisant à chacun ses recommandations, a embrassé Michèle et a tracé son cap NNO avec certitude en laissant Cézembre à tribord.

    Il nous attend au-delà des brumes de Terre Neuve dans la vraie lumière.

JC DEHAYE